Interview avec Kanyankore Jean Gilbert alias Yaoundé

Kanyankore Jean Gilbert alias Yaoundé
Source de la photo : umuseke.rw
« Le football moderne va de pair avec les moyens »
Le rwandais Kanyankore Jean Gilbert alias Yaoundé est, de par son palmarès national et international, l’entraîneur le plus titré au Burundi. Après une saison manquée au Rwanda pour des raisons que vous découvrirez dans cette interview, notre invité a regagné son club de tous les jours à savoir Vital’O.
Pour notre interlocuteur, il s’agit d’un nouveau et grand départ pour que Vital’O redore son blason ici et en dehors de nos frontières. La prochaine CECAFA Kagame Cup 2014 prévue au Rwanda le 08 août sera, pour Kanyankore, le premier test de ce nouvel épisode.
Optimiste mais prudent, il est confiant en son effectif renouvelé à 80%. A la fin de notre entretien, il donne son point de vue sur le niveau actuel du football burundais. Et montre la façon de le tirer vers le haut.
1) Kanyankore Jean Gilbert, bonjour. Vous êtes de retour au Burundi après une saison passée au Rwanda dans Kiyovu Sport Club. D’aucuns affirment qu’au Rwanda, vous avez travaillé dans des conditions d’extrême précarité. Est-ce vrai ?
Oui c’est vrai. Ecoutez, mes conditions de vie au Rwanda durant cette saison sportive écoulée (2013-2014) rempliraient facilement un roman de série noire. J’en ai vu de toutes les couleurs ! Les engagements de Kiyovu Sport clairement mentionnés dans le contrat qui nous liait n’ont jamais été honorés. Mes salaires n’étaient pas versés à temps. Toujours avec retard, je ne recevais que des miettes en lieu et place du montant dûment convenu entre Kiyovu Sport et moi-même.
Ne pouvant pas payer mon loyer, j’ai été chassé de mon domicile par deux fois. A plusieurs reprises, j’ai fait comprendre aux dirigeants de Kiyovu Sport qu’une telle situation ne pouvait pas permettre audit club d’avoir un bon rendement. Surtout que mes joueurs ont subi le même sort. Les problèmes qui m’assaillaient se reproduisaient sur eux. Ils ont livré le championnat dans de très mauvaises dispositions psychologiques. Franchement, tout a été fait pour que je tire ma révérence. Je ne pouvais pas continuer à travailler dans des conditions aussi déplorables.
2) Vous êtes revenu dans votre club fétiche à savoir Vital’O. Formation que vous servez depuis votre jeunesse. Actuellement, vos conditions de vie vous font-elle oublier le mauvais traitement connu au Rwanda ?
Vous parlez de Vital’O comme étant mon club fétiche. (Rire prolongé). J’ai toujours évolué dans les rangs de ce club. Le bon Dieu bénissant mes efforts, j’ai souvent tiré Vital’O vers le haut. Grâce, entre autres, aux membres des comités que ce club a connus. Je leur en sais gré. Ils m’ont apporté un soutien indéfectible. Concernant mes conditions de vie actuelles, elles n’ont aucune comparaison avec celles du Rwanda.
Au Burundi, j’ai retrouvé des amis avec lesquels nous avons partagé les moments de gloire dans Vital’O et les périodes d’insuccès. N’oubliez pas que la majeure partie de ma vie, je l’ai passée au Burundi. Entendez par là mes études et ma carrière d’entraîneur. Ici, c’est chez moi. Ensuite, j’étais peiné de vivre loin de mon épouse et mes enfants qui, eux, sont restés au Burundi. Au Rwanda, j’ai des connaissances, mais très peu d’amis. Quand il m’arrive d’avoir des problèmes sociaux, les personnes susceptibles de me secourir se trouvent au Burundi.
Enfin, je salue le courage et l’abnégation de Monsieur Bikorimana Benjamin, président de Vital’O. D’abord, nous émettons sur la même longueur d’onde. L’entente est parfaite. Les engagements sont respectés.
Sa vision à moyen et long terme est salutaire. D’ici peu, le professionnalisme sera notre hôte de marque. (Rire). Même les joueurs sont fiers de lui. Et ont une fringale de réussir. Notre optimisme est béat. Les prochains jours nous promettent des lendemains qui chantent. Pourvu que Dieu nous prête vie.
3) Pourtant cette année (saison 2013-2014), Vital’O, avec Benjamin Bikorimana, n’a pas imprimé ses marques sur la scène nationale en obtenant une piteuse 5ème place sur 14 équipes. Chose étonnante pour un club habitué à se jucher sur le perchoir le plus élevé.
Franchement, il faut rendre justice à Monsieur Bikorimana. Quand il a pris les rênes de Vital’O, l’équipe était en débandade. Moi je venais de signer un contrat avec Kiyovu Sport. L’ancien président Djamali Sefu venait de démissionner suite au comportement inadmissible de certains joueurs après la CECAFA Kagame Cup 2013 que nous avons remportée haut la main. Certaines pièces maîtresses de l’équipe ont été chassées pour indiscipline et insubordination. Le Championnat National 2013-2014 allait bientôt commencer. Et, à la va-vite, le staff dirigeant a recruté vaille que vaille de nouveaux éléments. Des recrues moins expérimentées que les partants. Bref, un tas de problèmes préjudiciables à un bon rendement. Le rendez-vous 2013-2014 a été manqué sur toute la ligne pour les raisons susdites. Il serait injuste et subjectif de faire endosser ce fiasco à Monsieur Bikorimana.
4) Vous avez renouvelé votre effectif à 80% si pas plus pour disputer la prochaine CECAFA Kagame Cup 2014 prévue au Rwanda avec une ossature aguerrie et plus rôdée que celle de la saison 2013-2014. Toutefois, n’allez-vous pas rencontrer un problème de cohésion sur terrain via un jeu collectif lacunaire avec toutes ces recrues venues de toutes parts ?
Vous avez raison vu le peu de temps alloué aux préparatifs. Nous n’avons pas eu assez de matchs amicaux pour acquérir des automatismes venant d’un jeu collectif soudé et cohérent. Donc, cette remarque est pertinente et fondée. Mais que voulez-vous ? Je mise beaucoup plus sur les prochains jours que sur cette CECAFA Kagame Cup 2014. Avec le temps, sûrement lors du Championnat National 2014-2015, Vital’O pourra retrouver ses lettres de noblesse en imprimant son habituel jeu collectif efficace et compétitif.
5) Parmi les formations adverses, quelles sont les équipes que vous craignez pour cette CECAFA Kagame Cup 2014 ?
Je ne raisonne jamais de cette façon. Toutes les équipes sont à prendre au sérieux. Chaque match revêt une importance capitale pour nous. Nous sommes des compétiteurs et à ce titre nous devons respecter nos adversaires. Mais respect ne signifie pas crainte ! Pour le reste, c’est sur terrain que nous serons jugés et fixés sur notre sort.
6) Comment jugez-vous le niveau actuel du football burundais ?
Il stagne de mon point de vue. Ni en hausse ni en baisse. Malgré les talents qui pullulent dans ce pays, le football burundais a du mal à aller de l’avant. Pour la simple raison que les clubs n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Tant qu’il n’y aura pas une politique salvatrice visant à alléger les contraintes financières des clubs via la fameuse loi sur le sponsoring, notre football aura du mal à imprimer ses marques sur la scène internationale. Le football moderne va de pair avec les moyens. Il faut absolument que nos dirigeants s’en imprègnent. De plus, si nous voulons élever le niveau de nos footballeurs, c’est dans les divisions inférieures qu’il faut mettre le paquet. Et ce, compte tenu de la moyenne d’âge de nos joueurs. Elle oscille entre 18 ans et 20 ans. L’avenir proche et lointain du football burundais dépend du niveau des footballeurs œuvrant dans les divisons inférieures. Et surtout, de leur encadrement.
7) L’actuel Comité Exécutif de la FFB mène des réformes. Parmi elles, figure l’augmentation des équipes oeuvrant en 1ère division. Nous passons de 14 équipes (saison 2013-2014) à 16 équipes pour la saison 2014-2015. En tant que technicien chevronné du ballon rond, quel est votre commentaire par rapport à cette réforme ?
Ecoutez Monsieur Sota, je me souviens qu’à une époque, nous avions 18 formations en 1ère division. La FIFA a manifesté son inquiétude par rapport à cette présence massive des équipes en Ligue A. Et pour cause, elle trouvait incohérent le fait d’accroître le nombre de formations en 1ère division vu le peu de moyens dont disposait ce pays.
Connaissant la santé actuelle du Burundi sur le plan économique, pouvons-nous nous permettre d’organiser un championnat composé de plusieurs équipes ? Le débat est ouvert. Je ne détiens pas le monopole de la vérité. Mais tant que la pauvreté mainte fois observée dans les clubs continuera à sévir de plus belle, les résultats escomptés par le staff dirigeant de la FFB risquent de ne pas être atteints. Je le ressasse, c’est mon point de vue. Et ça n’engage que la personne de Yaoundé.
Toutefois, je suppose qu’en augmentant le nombre de formations en 1ère division, des mesures d’accompagnement suivront cette nouvelle politique. Là, ça irait ! Notamment la mise en application de la loi sur le sponsoring que les clubs réclament à cor et à cri. Et une organisation irréprochable au sein desdits clubs. Car, avoir les moyens est une chose. Savoir gérer ces moyens via une bonne organisation en est une autre. J’ai appris par le biais d’amis proches du président de la FFB que cette loi si attendue ferait partie de ses priorités pour la prochaine saison sportive. Voilà une mesure que le monde du sport, ici chez nous, accueillerait à bras ouverts. En nantissant le football burundais de moyens, nos équipes réaliseraient des résultats prodigieux sur la scène internationale. Y compris nos équipes nationales. J’y crois dur comme fer. Je mets au défi quiconque de me prouver le contraire. Les lecteurs d’Arc-en-Ciel seront mes témoins.
Propos recueillis par Patrick Sota
NB : Cette interview m’a été accordée avant le départ de Vital’O pour Kigali. Yaoundé, visionnaire, n’attendait pas grand-chose de ses poulains pour cette CECAFA Kagame Cup 2014. Et pour cause, les nouvelles recrues si nombreuses dans son équipe ne sont pas encore parvenues à imprimer un jeu collectif soudé et cohérent. Avec le temps ça viendra suis-je enclin à croire.